LES POSITIONS ACTUELLES

La finalité de la recherche ainsi définie, il était logique de commencer par un examen des manuels de russe destinés aux étrangers. Parmi ceux-là, il a fallu éliminer la presque totalité des ouvrages publiés en URSS.

Outre le fait que la recherche sur l'enseignement de l'aspect ne semble pas être au centre des préoccupations des linguistes soviétiques, leurs manuels, sans donner de système d'ensemble, proposent des explications ponctuelles et offrent soit des exercices d'analyse passive, entièrement en russe, soit des exercices d'insertion de l'un des aspects dans un contexte où le choix est rendu artificiellement évident. Ainsi on a :

Exercice 1. Lisez les phrases ci-dessous, écrivez les. Notez que les imperfectifs marquent l'entrée dans l'action, tandis que les perfectifs soulignent que l'action est terminée. Сегодня нa уроке мы проверяли домашнее задание / мы проверили домашнее упpажнение, и начали читать текст.

Exercice 19. Remplacez les points par l'aspect convenable.
1. Рабочие ... школу все лето. / Oни ... школу, и теперь в ней учатся дети. (строить / построить)

Exercice 21. Remplacez les imperfectifs par des perfectifs. Expliquez le changement de sens.
Студенты входили в класс и здоpовались. Преподаватель приносил нa урок мaгнитофон.

Il convient de mettre à part le manuel de Lobanovа-Stepanova publié en 1970, qui, s'appuyant sur les travaux de Рассудова, incite l'étudiant à envisager les différentes situations possibles, ou bien à préciser la sémantique, soit contextuelle, soit verbale.

Exercice 1 Donnez aux étudiants deux propositions et demandez de trouver laquelle d'entre elles peut être une réponse aux questions que vous leur posez. Attirez l'attention des étudiants sur le fait que l'imperfectif sert à exprimer ce à quoi était occupée une personne ou comment a été occupé un certain laps de temps.

Я готовила обед / Я приготовила обед.

Les questions seraient : Что ты делала в первой половине дня ? ; Ты была свободна утром ? ; Почему ты так мало успела прочитать? ; Ты стирала сегодня утром ? ; У нас сегодня есть обед ? ; Вы пойдете сегодня в столовую ?

Exercice 16 Demandez aux étudiants de changer l'aspect dans les propositions suivantes et d'expliquer dans quels cas les adverbes постепенно, быстро, медленно, etc. s'appliquent au résultat de l'action et dans quels cas ils s'appliquent au déroulement du procès.

1. Больной постепeннo выздоравливал.
2. Мы мало-помалу пpивыкaли к новым условиям жизни.
3 Автобус медленно подошел к остановке.

Exercice 74. Demandez aux étudiants de répondre aux questions en utilisant le verbe казаться / показaться
a) pour exprimer une première impression b) pour exprimer un état qui dure.
Вы сpaзу узнали его ? Oтвет : Нет, сначала он показался мне незнaкомым.

Une telle approche ne semble pourtant pas avoir fait l'unanimité des pédagogues soviétiques, car tous les manuels parus depuis reviennent à des exercices beaucoup plus « traditionnels ».
Les manuels français sont, en majeure partie, destinés aux élèves du secondaire et ne donnent qu'une idée succincte de l'aspect. Parmi les ouvrages pour adultes, l'accent est surtout mis sur la morphologie (formation du perfectif, identification de l'aspect, etc.).

Les rares exercices proposés ne permettent pas de se faire une idée globale des valeurs oppositionnelles des aspects. Par ailleurs, bon nombre d'exercices s'appuient sur des positions théoriques ou très floues, ou même très contestables.

Ce bref aperçu des différentes positions ne s'inscrit pas dans une optique polémique, mais cherche à préciser les « écoles » et les a priori sur lesquels on s'appuiera par la suite.

1. Cherchant avant tout une définition, soit de la notion d'aspect même, soit de l'imperfectif et du perfectif (plus loin désignés par I et P), pratiquement tous les auteurs examinent les deux aspects séparément. Depuis Mason qui consacre des chapitres entiers à 1'I puis au P, jusqu'à Маслов et Бондарко qui, tout en insistant sur l'inséparabilité I/P, étudient d'abord les valeurs générales de l'un, puis de l'autre aspect, et ensuite leurs valeurs particulières, tous ont tendance, pour illustrer leur point de vue, à utiliser, dans les exemples, des verbes différents, aboutissant ainsi à un « imperfectif-en-soi » et à un « perfectif-en-soi ».

On prendra délibérément le contre-pied d'une telle position. Refusant de donner une définition personnelle de l'essence de l'aspect, on aura recours à des critères empiriques : on se contentera des données fournies par les dictionnaires avec quelques restrictions précisées plus loin.

Cela n'implique nullement que l'on considère l'aspect comme une catégorie purement sémantique. La sémantique commune d'un couple donné sera simplement prise pour base, pour unité de travail, et l'on étudiera les deux aspects comme un tout inséparable, un peu comme les deux faces d'une main. Par cette image, on ne veut en aucun cas affirmer l'existence d'une entité linguistique, et encore moins grammaticale, qui se traduirait tantôt par l'I, et tantôt par le P.

On ne tient pas, non plus, à poser la réalité, l'existence d'une opposition aspectuelle. Celle-ci s'accentue ou s'estompe selon les circonstances ; et de nombreux verbes ne possèdent qu'un aspect. Il ne s'agit pas davantage de la réalité d'une opposition, nécessairement binaire, où le multiple s'oppose à l'unique, le concret au général, etc. Rien n'est moins sûr : on verra, lors de l'analyse sémantico-aspectuelle, de nombreux cas où la dichotomie n'est possible qu'au prix d'une certaine distorsion.

Néanmoins, si on ne perd pas de vue que ce n'est là qu'un outil de travail et étant donné le degré de précision que l'on se fixe pour but, c'est une méthode analytique suffisamment efficace et qui répond au besoin de l'étudiant qui trouvera intéressant d'apprendre que 1'I de tel verbe peut traduire l'action habituelle, uniquement si le P du même verbe peut traduire l'action fortuite.

2. Il est encore pratiquement de règle d'étudier l'aspect en liaison avec les catégories morphosyntaxiques : temps, voix, mode, en signalant accessoirement les cas où le choix de l'aspect dépend de la sémantique verbale. Cette préférence accordée à la grammaire fait ranger sous la même rubrique :
- position : он сидел
- devenir : он рос
- action dirigée sur un objet : он писал письмо
- perception : он слышал шорох
- action obligatoirement orientée : он направлялся в лес
- action admettant une annulation : он надевал пальто
- durée impossible он заставал ее за работой.

Or, ces verbes, bien que tous imperfectifs, appartiennent à des catégories sémantiques trop différentes pour qu'il y ait une utilité pratique à les grouper. Lorsqu'un étudiant se demande s'il doit dire : он оставался нa берегу ou bien он остался нa берегу il ne lui suffit pas de savoir que l'I est une forme verbale non marquée quant à la durée et la répétition, et que le P est une forme verbale comportant nécessairement soit une limite dans la fréquence, soit une limite dans le temps. Cf. Демиденко et Наумович. Il parait sоuhаitаblе de préciser au moins quelle limite exacte par rapport à l'I est indiquée par le P pour tel ou tel verbe.

Cette limite est, au sens strict, différente pour chaque verbe, dans la mesure même où l'on exclue la synonymie absolue. Toutefois, en pratique, on constate qu'il existe des « familles » de verbes qui ont sensiblement le même type de limite. Notre tâche sera précisément de dégager ces « familles » ou classes sémantiques intérieurement homogènes mais suffisamment opposées entre elles, puis de les décrire du point de vue aspectuel.

Depuis une dizaine d'années, on peut noter une certaine tendance à reconsidérer le problème de l'aspect du point de vue de sa liaison avec la sémantique. En 1967 Рассудова note : «  La signification lexicale peut avoir une influence sur l'actualisation des valeurs aspectuelles, dans la mesure où cette signification reflète les particularités d'un certain type d'action. » Et plus loin, elle consacre un paragraphe aux verbes admettant un contraire qui les annule, du type : открывать / закрывать, pour lesquels 1'I indique que l'action а été annulée : он открывал окно = la fenêtre est fermée par opposition au P, qui indique un résultat maintenu dans le présent : он открыл окно = la fenêtre est ouverte.

Шубина analyse les tournures périphrastiques telles que :
проводить / провести вpемя
назначaть / назначить свидание
испытывать / испытать волнение

Elle constate que ces tournures sont incompatibles avec l'idée de mesure ou de manière, ce qui se traduit, d'un point de vue formel, par une incompatibilité avec des adverbes tels que очень, весьма, слишком, крайне, более, глубоко, сильно.

Elle établit un rapprochement entre ces restrictions sémantiques et les restrictions sur le plan de l'aspect, qui s'appliquent aux mêmes tournures périphrastiques. On ne peut pas dire : *Он очень испытывaл / испытaл волнение pas plus que l'on ne peut attribuer la valeur de « sens général » caractéristique de l'I à oн испытывал волнение. Mais Шубина arrête là sa recherche. D'une part, elle ne précise pas quelles restrictions d'aspect existent en fait. Par ailleurs, elle limite son analyse aux traits sémantiques "mesure" et "manière".

D'autres auteurs ne vont même pas jusque-là. Dans la plupart des cas, ils se contentent de traiter à part les verbes de mouvement. jusque-là trouve-t-on quelques paragraphes sur les modalités d’action un peu particulières, comme сказывать. Ou alors la liaison sémantique verbale-aspect est développée dans une direction peu intéressante pour la présente étude.

Ainsi Бондарко, note que « la possibilité ou l'impossibilité d'une concurrence des valeurs aspectuelles dépend en grande partie de la signification lexicale du verbe. ». Bien plus, il se fixe comme but « la mise en évidence des traits sémantiques, en tenant compte avant tout de la compatibilité des aspects avec un certain type de mots aspectuellement significatifs, qui auraient une incidence différente sur l'imperfectif et sur le perfectif. » Mais il s'attache à définir le contenu sémantique des aspects comme « la somme de leurs possibilités fonctionnelles ». On retombe donc dans la notion d'un imperfectif-en-soi et d'un perfectif-en-soi, alors qu'on s'est fixé comme objectif l'analyse globale de l'inséparabilité Imperfectif-Perfectif-Sémantique verbale. Cherchant à dégager certains microsystèmes facilement utilisables, on s’est attaché à mettre en lumière les possibilités de valeurs aspectuelles de quelques catégories sémantiques.

En effet, un examen, même superficiel, montre que tous les verbes n'ont pas la même aptitude à rendre les multiples facettes d'un aspect. Dans он приходился мне дядей, le P pourra difficilement être senti comme un « procès considéré dans sa totalité ». De même peut-on parler de « résultat » à propos de скала повисла над морем ; бурелом преградил путь ?

Nous verrons plus loin qu'il existe des familles de verbes qui admettent un grand nombre de valeurs oppositionnelles. Par exemple :
- multiple / unique
- résultat annulé / résultat maintenu
- le fait a eu lieu / réalisation d'intention
- sujet occupé à cette action / sujet occupé à autre chose
- résultat jugé par rapport à un moment précis du procès / résultat jugé par rapport à l’ensemble du procès.

C'est le cas pour он открывал окно / oн открыл окно. Mais même alors toutes les possibilités des valeurs aspectuelles existantes ne peuvent être rendues : он открывал / он открыл окно ne comporte ni l'opposition :  « action exercée sur une partie de l'objet / action exercée sur la totalité de l'objet, que l'on peut avoir dans он подметал пол / он подмел пол, ni l'opposition situation objective / découverte de cette situation que l'on a dans он приходился мне дядей / oн пришелся мне дядей.

Notons au passage qu'on retrouve là, en beaucoup plus flou, le problème général des formes défectives, fréquent pour toutes les catégories grammaticales. Mais nul ne s'étonnera de rencontrer des verbes sans impératif, ou des substantifs sans singulier, alors que l'on admet difficilement l'absence de l'idée de durée dans 1'I de он замечал огонек

3. A l'heure actuelle, il existe en gros deux façons de considérer le couple aspесtuel :

a) On admet comme formant couple
-  deux verbes non préverbés решaть / решить
- deux verbes préverbés подписать / подписывать
- deux verbes dont 1'un est préverbé et l'autre non préverbé : писать / нaписать

Ce point de vue est, pour l'instant, celui de tous les dictionnaires (du moins en ce qui concerne les éditions soviétiques et françaises) et pratiquement de tous les manuels scolaires. Lobanova - Stepanovа font un effort pour présenter des exercices évitant les couples non préverbé /préverbé, mais n'y réussissent qu'aux trois quarts.

Dans cette optique seront considérés comme couples
плакать / заплакать
стyчать / стукнуть

et il n'est pas rare de rencontrer des verbes formant plusieurs couples :
кричать / закpичать
кричать / крикнуть
кричать / прокричать
кричать / пoкричать

b) A l'opposé, en se basant sur les travaux d'Isacenko, Lépissier considérait qu'il n'y a, au sens strict, aucun préverbe vide de sens et que les seuls couples aspectuels sont
- les non préverbé / non préverbé : решать / решить задачу
- les préverbé / prévеrbé : разрешать / разрешить гулять
- les supplétifs : брать / взять шляпу.

Lépissier estimait que l'ancien suffixe itératif ва / а avait totalement perdu son caractère de modalité d'action et considérait comme couple вставать / встать

De même, le suffixe plus récent -ыва serait ressenti comme itératif seulement lorsqu'il existe des doublets, c'est à dire deux imperfectifs qui ne se distinguent que par ce suffixe : говорить / говаривaть правду

Alors, c'est la variante non-itérative qui entre dans la corrélation aspectuelle : говорить / сказать правду. Partout ailleurs, on acceptera les verbes en ыва comme formant couple : рассказывать / pасскaзать анекдот.

Par contre, dans les perfectifs, le suffixe -ну est bien ressenti comme introduisant la modalité d'action semelfactive : кричать / крикнуть et n'entrera donc pas dans la formation du couple grammatical.

On adoptera le point de vue de Lépissier pour limiter le corpus des énoncés étudiés. Il présente l'avantage de fournir des critères formels très nets. Toute la partie théorique de l'analyse s'appuiera uniquement sur les exemples comportant les couples grammaticaux ainsi définis. On y ajoutera simplement les verbes à double aspect, comme : ранить, женить.

Toutefois, lors de l'établissement du tableau sémantico-aspectuel, on fera quelques remarques sur les modalités d'action (désignées par MA dans la suite de l'ouvrage).

En effet, si la position de Lépissier est scientifiquement bien fondée, elle est peu pratique dans l'usage. Lui-même, d'ailleurs, dans son manuel, donne comme couple des non préverbé / préverbé : резать / порезaть et резать / разрезать et ne manquait jamais de signaler que la différence entre l'opposition I/P et l'opposition I/MA, par exemple dans он подметал пол / он подмёл пол ou bien он мыл пол / он вымыл пол, n'est ressentie par aucun russophone.

Toutes les MA sont loin de présenter cette similitude. Бондарко fait une distinction entre : les modalités d'action à caractéristique cohérente, qui «se distinguent par un trait formel défini et constituent des séries génératrices de mots nouveaux », telles que :
- l'ingressif : запеть
- l'intensif : разбушеваться
- le limitatif : поговорить
- l'accompagnatif : подпевать
- l'atténuatif : приостановиться

et les modalités d'action à caractéristique peu cohérente, qu'il définit comme des « actions aboutissant à un résultat ». Par exemple : вышколить, заминировать, испортить, накормить, ожиреть, отомстить.

Si tous les auteurs semblent d'accord sur l'existence de МА proches du P et de MA qui n'entrent pas dans la corrélation aspectuelle, leurs points de vue divergent quant aux limites à fixer entre les deux notions.

Ainsi, les ouvrages qui ne tiennent pas compte de l'existence des MA, donnent comme couples
- les ingressifs : любить / полю6ить
- les semelfactifs : кричать / крикнуть
- les délimitatifs : любоваться / полюбоватьея
- les inchoatifs : темнеть / потемнеть,

mais même ceux-là considèrent comme dépareillés les atténuatifs : поистратиться (истратиться) ainsi que les augmentatifs разораться (орать).

Isacenko voit le rapprochement entre MA et P surtout pour les accomplissements résultatifs : « C'est précisément dans le cadre de cette modalité que se réalise, dans un bon nombre de cas, un rapprochement maximum entre la valeur de la modalité d'action et la valeur proprement aspectuelle » : строить / построить дом.

Sans vouloir résoudre le problème sur le plan théorique, on s'est contenté, là encore, d'une solution pragmatique : on prendra en considération les MA seulement si leur définition correspond totalement au moins à une valeur du P définie pour le couple grammatical. Ainsi on conservera ce qu'Isаcеnko appelle « nuance terminative de la modalité résultative » qu'il définit comme une action considérée dans son achèvement.

De même, on gardera chez Isacenko la nuance exhaustive : amener le sujet jusqu'au bout de l'action, aller jusqu'à l'épuisement de l'action, jusqu'à l'impossibilité de poursuivre l'action : мaяться / умaяться de même que la nuance « totalité de l'objet » où l'action s'étend sur tout l'objet ou sur tous les objets, épuise l'objet dans sa totalité : калечить / искалечить ногу.

Mais on a exclu les nuances comme

Chez Бондарко, on a conservé

ainsi que

Ces exemples ne font nullement le tour du problème. Ils servent seulement à illustrer la démarche suivie pour sélectionner les MA аnlysées dans les classes sémantico-aspеctuelles.
Les MA qui peuvent être définies par une valeur de P seront appelées modalités d'action perfectivéеs pour les distinguer des modalités d'action tantum.

Il est intéressant de noter eue les MA perfectivées apparaissent dans les dictionnaires couplées avec les I non-préverbés sans aucun commentaire et sont traduites de la même façon que ces I faisant, tout au plus, apparaître un auxiliaire servant à marquer le P, alors que les МА tantum sont soit accompagnées de commentaires lexicaux, soit figurent en entrée indépendante.

Ожегов donne sans commentaire : калечить - несoв., искалечить - сов.
Щерба donne, à deux entrées différentes калечить et искалечить mais les traduit de la même façon : mutiler, estropier. Pour маяться s'exténuer / змаяться être exténué on a bien deux traductions différentes, mais la distinction est la même que celle faite pour les couples grammaticaux : устать - être fatigué, наплакаться - pleurer toutes ses larmes, набегаться - courir, tant courir qu'on n'en peut plus.

Dans les dictionnaires, la confusion se remarque surtout au niveau des semelfactifs, délimitatifs et ingressifs, souvent donnés comme P de verbes non préverbes et qui, selon les verbes, jouent le rôle de MA perfectivée et peuvent alors être effectivement utilisés à l'égal d'un P, ou bien restent des MA tantum, et il faudrait alors signaler à l'étudiant leurs valeurs particulières pour que, dès le départ, il apprenne non pas deux aspects d'un même verbe, mais deux verbes distincts. Tel n'est pas le cas à l'heure actuelle et l'étudiant doit deviner tout seul la valeur des MA proposées.

Cela est relativement facile pour les semelfactives qui se distinguent formellement par le suffixe -ну : кричать - crier / крикнуть - pousser un cri. Il y a d'ailleurs peu de fautes pour cette catégorie de MА. Sauf en ce qui concerne les semelfactifs par préverberation : играть в шахмaты jouer aux échecs / сыграть в шахматы faire une partie d'échecs.

La difficulté croît pour les MA délimitatives qui ne sont pas toujours signalées comme telles.
L'étudiant a beau apprendre à se méfier du préverbe пo et à distinguer le délimitatif de погулять, поработать, etc. de l'impressif пойти ou du résultatif поставить.

Lorsqu'il trouve dans un dictionnaire que поужинать est le P de ужинать, il peut se demander s'il s'agit de « passer un certain temps à diner », de « commencer à diner » ou de « avoir achevé le repas ».

Quant aux МA ingressives, c'est un véritable casse-tête ; autant à cause de la diversité des préverbes : закричать, побежать, взвыть qu'à cause des valeurs multiples de ces préverbes.

запеть : début d'action
задвинутъ : mouvement derrière un objet
заготовить : accumulation en prévision de l'avenir
застроить : action qui s'étend sur tout l'objet
зaпaковaть : annulation possible par un verbe de sens contraire
захвалить : action excessive

Ces valeurs sont parfois différentes des verbes en apparence identiques (en fait des homonymes).
on забил в барабан = ingressif, MА de бил
он забил гол = résultatif, P de забивать

Mais il peut être difficile de reconnaitre pour homonymes deux verbes qui ne diffèrent ni par leur morphologie, ni par leur rection, comme c'est le cas pour заинтересоваться, MA de интересоваться pris dans deux contextes différents :
a) вошла незнакомая девушка, и весь зал заинтересовался ей
b) он ходил в библиотеку каждый день, уж очень он заинтересовался данным вопросом.

Dans le cas a), il s'agit de succession de deux actions, еt a une valeur ingressive : toute la salle porta à ce moment-là son intérêt sur la jeune fille.
Dans le cas b), 1a deuxième proposition est une explication de la conduite du sujet et a une valeur perfectivée (parfait qualificatif) : le sujet était tellement intéressé par la question qu'il allait à la bibliothèque tous les jours. En tous cas, l'idée de début d'intérêt pour la question n'intervient pas.

Alors, s'agit-il de deux homonymes ou d'un même verbe dont la modalité d'action change suivant le contexte ?

Ne pourrait-on pas admettre qu'il n'existe pas de cloisonnement étanche entre les différentes MA ? C'était peut-être déjà le cas pour les couples grammaticaux et 1es couples à MA, pour la grammaire et la sémantique ? En tout état de cause, il est important d'aider les étudiants à faire une analyse correcte, malgré cet amoncellement de formes, significations, emplois, tantôt dissemblables, tantôt identiques. Et lorsqu'on donne un couple à MA la moindre des choses est de préciser la valeur du préverbe.

4. Il semble admis, mais il n'est peut-être pas superflu de le rappeler, qu'un verbe n'a de signification que par rapport à son contexte.

Greimas note qu'un seul terme objet ne comporte pas de signification et que la signification présuppose l'existence de 1a relation. Cela est vrai à l'intérieur du corpus lexical d'une langue (fille se détermine par rapport à garçon, par rapport à adulte, etc.) mais également dans les limites d'un contexte immédiat.

Il n'existe pas de verbe бpать « absolu » mais des verbes tels que 
брать тетрадь co стола (prendre)
брать хлеб в булочной, (acheter)
брать себя в руки (se dominer)
бpать c собой мальчика (emmener)
бpать деньги за вход (faire payer)
брать себе помощника (engager)
брать в долг (emprunter)
брать врага в кольцо (encercler)
бpать в плен (faire prisonnier.

On évitera donc pour dégager les valeurs de l'aspect aussi bien la comparaison entre deux verbes privés de leur contexte : открывать / открыть qu'entre deux verbes qui, du fait de leur contexte, ont des significations différentes : открывать окно / открывать закон

On ne tiendra pas compte de la distinction que font certains auteurs comme Apresjan ou Шубина, entre les tournures périphrastiques et les associations « libres ». Les premières sont entièrement figées : l'un des termes appelle automatiquement et exclusivement l'autre : бить баклуши, бить тревогу. Si on veut employer les substantifs баклуши ou тревога, on est obligé de prendre le verbe бить.

Les associations « libres » admettent des substitutions de termes : бить собаку - хлестать собаку ou des changements de rection : бить собаку / бить no спине.

On analysera séparément бить / пробить тревогу et бить / побить собаку.
(бить баклуши est un I tantum, et, de ce fait, sera éliminé.

5. Le dernier point est plutôt d'ordre méthodologique que théorique. On utilise souvent en linguistique un procédé qui serait jugé aberrant en sciences « exactes » : on tire des conclusions après la comparaison de deux ensembles dont on a modifié plus d'un élément à la fois ! Par exemple, on analyse la différence des valeurs aspectuelles dans : когда уже садилось солнце, она вспомнила про письмо par rapport à напpасно вы сели так далеко et он все еще не садился.

Ce manque de rigueur, peu important lorsqu'on compare он писал роман et она написала письмо est tout à fait regrettable quand on met sur le même plan однажды он уже добивался взаимности et он добился взаимности впервые car l'opposition est autant entre впервые et уже однажды qu'entre l'I et le P. La preuve en est que он добивался взаимности tout seul veut dire : il cherchait à atteindre un but, et désigne donc un procès dans son développement, alors qu'avec уже однажды on a affaire à un procès dont le résultat a été annulé par son contraire.

Le rôle de ces mots qui dans les manuels surchargent les exemples en faussant leur valeur aspectuelle première est particulièrement important. Il sera étudié ultérieurement. Mais dans un premier temps, on les bannira totalement des exemples étudiés.

Cela nous amène à délimiter et à définir le matériau qui sera analysé, ou, plus précisément, à choisir les unités de travail.